Lorsque le processus est accompli les jours passent ‘en lisant en écrivant’ ; nous nous trouvons comme dans le cours d’un fleuve. On écrit parce qu’on a déjà commencé à écrire, et parce que d’autres l’ont fait avant vous. C’est une activité complexe, ordinaire, essentielle, comme la marche, comme de se nourrir. Pour le comprendre, considérons cette forme grammaticale des deux gérondifs, ‘en lisant en écrivant’, qui se succèdent sur le même plan, sans l’interposition d’une virgule, et suggèrent un mouvement sans fin ; comparons-les avec la construction des Mots de Sartre, en deux parties distinctes : ‘Lire / Ecrire’, qui formulent une sommation et tracent une destinée. L’infinitif est posé devant nous ; le gérondif se rapporte à la vie.
Dans la dernière livraison d’Esprit, Michel Murat y fait un subtil et intelligent hommage à Julien Gracq dont ce n’est ici qu’un extrait. Avec des mots peu convenus est décrite ce que représente la littérature chez un écrivain aux phrases peu convenues elles-mêmes, qui s’enchaînent sans jamais lasser le lecteur ; telles ces lignes d’un autre auteur :
Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les provisions de goûter qu’on nous avait fait emporter et qui nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et pendant lequel nous ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec amour) que, s’il nous arrive encore de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous avons gardé des jours enfuis, et avec l’espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus.
Qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps des vacances, qu’on allait cacher successivement dans toutes celles des heures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir leur donner asile. Le matin, en rentrant du parc, quand tout le monde était parti faire une promenade, je me glissais dans la salle à manger, où, jusqu’à l’heure encore lointaine du déjeuner, personne n’entrerait que la vieille Félicie relativement silencieuse, et où je n’aurais pour compagnons, très respectueux de la lecture, que les assiettes peintes accrochées au mur, le calendrier dont la feuille de la veille avait été fraîchement arrachée, la pendule et le feu qui parlent sans demander qu’on leur réponde et dont les doux propos vides de sens ne viennent pas, comme les paroles des hommes, en substituer un différent à celui des mots que vous lisez.
Marcel Proust écrivit cela dans «Journées de lecture», in Mélanges. Pour son discours de réception du Prix Nobel de Littérature, Orhan Pamuk rédigea fin 2006 son propre hommage à l’écriture ; un tel grand texte demeure dans l’oreille, jusqu’à son titre Babamin bavulu (My Father’s Suitcase) dans une autre langue que la sienne.
As you know, the question we writers are asked most often, the favourite question, is; why do you write? I write because I have an innate need to write! I write because I can’t do normal work like other people. I write because I want to read books like the ones I write. I write because I am angry at all of you, angry at everyone. I write because I love sitting in a room all day writing. I write because I can only partake in real life by changing it. I write because I want others, all of us, the whole world, to know what sort of life we lived, and continue to live, in Istanbul, in Turkey. I write because I love the smell of paper, pen, and ink. I write because I believe in literature, in the art of the novel, more than I believe in anything else. I write because it is a habit, a passion. I write because I am afraid of being forgotten. I write because I like the glory and interest that writing brings. I write to be alone. Perhaps I write because I hope to understand why I am so very, very angry at all of you, so very, very angry at everyone. I write because I like to be read. I write because once I have begun a novel, an essay, a page, I want to finish it. I write because everyone expects me to write. I write because I have a childish belief in the immortality of libraries, and in the way my books sit on the shelf. I write because it is exciting to turn all of life’s beauties and riches into words. I write not to tell a story, but to compose a story. I write because I wish to escape from the foreboding that there is a place I must go but – just as in a dream – I can’t quite get there. I write because I have never managed to be happy. I write to be happy.
& :
– En lisant en écrivant, version OL.