Silence & musique sont des clichés éculés qui souvent passent à côté de l’essentiel. Michel Chion en a rédigé un superbe article dans la revue de l’Ensemble InterContemporain, Accents (n°24), en hommage à Olivier Messiaen duquel 2008 marque le centenaire de la naissance. Offrons la version complète (PDF) ou ces quelques extraits :
« Dans le discours sur la musique contemporaine, le mot silence est un mot ‘tarte à la crème‘ : fatalement, on en vient à évoquer les œuvres minimalistes de Morton Feldman, aux sons à peine perceptibles, ou à citer l’œuvre conceptuelle de John Cage, 4’33 », qui consiste à réunir des musiciens en leur demandant de ne pas jouer, ou de fermer le couvercle du piano le temps du titre. On cite souvent également les formules rebattues : ‘le silence qui suit la musique de Mozart est encore du Mozart‘, ou bien ‘le silence n’est-il pas le plus beau des sons ?‘. Bref, le mot, outre la tonalité ‘new age’ (de nombreux disques relaxation, vendus dans les grandes surfaces, nous proposent des musiques dites de silence) prête à ces paradoxes faciles par lesquels on veut se rendre intéressant.
Pourtant, ce mot-cliché devient pertinent quand on écoute l’œuvre d’Olivier Messiaen, notamment la grande suite orchestrale Des Canyons aux étoiles. (…)
Nous avons sur plusieurs plans une impression de silence : le silence entre les mouvements, et entre les phrases musicales. On sait que c’est un point crucial pour la musique contemporaine, dans laquelle l’interruption du flux musical met à nu à la fois le silence et le son de la salle. D’autre part la forme ‘suite‘, en mouvements, expose à le faire entendre. (…)
Il n’y a de silence que de quelque chose : le silent d’une voix, le silence d’une personne, le silence d’un bruit, le silence d’un son, d’une musique. Mentionnons une autre dimension : le silence qui s’écrit. Grâce notamment à Mallarmé et son ‘vierge papier que sa blancheur défend‘, le rôle symbolique important de la ‘page blanche‘ est connu. Messiaen travaille avec le papier à musique. On sait que la notation occidentale écrit le silence, sa durée en tout cas, et permet de semer sur des lignes parallèles de petits symboles qui sont là, veillent, ce qu’on voit encore mieux sur le matériel d’orchestre, sur les parties séparées des instruments. (…) »
En sorte que, laissons à la note le temps de se vider ajoute Florence Trocmé en son Flotoir. La bien-nommée Turangalîlâ, elle, sort de temps à autre de son silence (ou, plus récemment, demande à son double Elekra de choisir les mots appropriés pour rendre compte de la magie du silence comblé).