Seront publiés ici des bouts de thèse, laquelle est disponible en fichiers séparés via WebOL ; ces extraits doivent en donner la substance, sans l’appareil de notes : « La Matière et l’Action : Le graphisme technique comme instrument de la coordination industrielle dans le domaine de la mécanique depuis trois siècles ».
Après la conclusion générale, enfilons les écrans : d’abord le chapitre premier de la partie I intitulée La fabrication en filigrane.
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– Consulter la conclusion générale.
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Décrire ce que l’on sait faire (I.1)
| Introduction
De la diffusion graphique du savoir productif
Ce premier chapitre présente une situation particulière d’usage du graphisme technique : la diffusion de l’information de nature technique, non pas au sein d’un atelier ou d’une entreprise mais entre régions, entre couches de la population, au sein d’un pays —la France—, et même au-delà de ses frontières. Cette information présente ici un caractère technique en tant qu’elle met en jeu des acteurs, des savoirs et des instruments.
Nous nous efforcerons de décrire les interactions entre ces trois pôles analytiques1 pour saisir ce qu’est cette première forme de graphisme technique. L’étude se situe dans la période souvent qualifiée d’« Age des Lumières », correspondant approximativement au règne de Louis XV2. Nous verrons en fait qu’il faut remonter au cours du règne de Louis XIV, lors de la dernière décennie du XVIIe siècle3. Nous aborderons cette période des Lumières sous l’angle de l’histoire de la coordination technique4. Nous nous affranchirons ainsi de certaines explications faisant appel à l’air du temps, à l’apparition d’une prise de conscience politique ou philosophique favorable à la diffusion de l’information.
Durant la période de la fin du XVIIe siècle à la seconde moitié du XVIIIe siècle se développe la diffusion de présentations des arts et métiers dans des publications exposant un mélange de textes et de dessins qui renvoient des uns aux autres. Pourquoi sont diffusées de telles présentations des activités techniques et industrielles ? Qui concourt à cette entreprise ? Par quels types de représentations sont mises en scène les activités productives ? C’est ce que nous verrons dans ce chapitre premier consacré aux modes de description des activités de transformation de la matière, regroupées sous les termes d’« artisanat » ou d’« industrie ».
Nous montrerons en quoi la forme particulière du graphisme technique est de décrire ce que l’on sait faire plutôt que ce l’on fait effectivement. En d’autres termes, cette utilisation de la description au cœur du graphisme technique porte moins sur ce qui est effectivement fabriqué que sur ce que l’on pense savoir faire.
De l’Encyclopédie à la question des savoirs
Considérons qu’il ne faille pas isoler l’Encyclopédie d’autres mouvements de description des arts et métiers, notamment le projet développé sous l’égide de l’Académie royale des sciences dont le titre est proche : la Description des arts et métiers5. Nous analyserons tout d’abord le projet et la construction de l’Encyclopédie : le contexte de son émergence, la question des arts mécaniques et son destin éditorial. Nous nous intéresserons ensuite à ce mouvement, plus général, qui consiste à décrire les métiers. Ce sera l’occasion de nous interroger par là même sur la nature de la description, sur la notion de métier et sur le recours respectif à l’image et au texte. C’est alors que nous développerons le nœud central du chapitre : la description des savoirs.
D’une manière générale, les sources étudiées dans ce chapitre montreront maints acteurs originaux et indissociables. Cela est radicalement différent des distinctions souvent établies entre les « artistes » (terme qui sera, à l’instar de la terminologie de l’époque, employé désormais dans ce mémoire pour ouvriers, techniciens, hommes de l’art, etc.) d’un côté, et le Diderot des Lumières de l’autre. Le mouvement de description des savoirs sera ainsi replongé dans le contexte de l’époque, de ses acteurs, de ses pratiques et de quelques-uns de ses instruments.