Nombre de voix répètent à bon droit que la lecture autre que par le livre, le codex, en est une véritable. Le dit collectif Numerikli(v)re a publié un ouvrage Plaidoyer pour le lire, dont la préface rédigée par Anita Berchenko et Jean-François Gayrard comporte cet extrait :
La langue française est riche de mots pour définir la lecture. Tout comme il ne nous viendrait jamais à l’esprit de dire « je lis une liseuse, je lis une tablette », on ne lit pas un livre, mais on lit un roman, une nouvelle, un essai, un guide, une bande dessinée, un blog, etc. On ne lit pas parce qu’on veut sauver une industrie, celle du « livre », on lit parce qu’on veut s’évader du quotidien dans un roman, conquérir de nouveaux espaces, de nouveaux mondes, de nouvelles vies que la lecture va nous permettre de vivre par procuration, on lit parce qu’on veut se documenter, se renseigner, compléter nos connaissances… On lit pour entrer en résonance avec un auteur, pour une rencontre avec ses mots, pour être un autre le temps d’une lecture. La littérature ouvre des portes sur des chemins suffisamment nombreux pour que chacun choisisse celui (ou ceux) qu’il veut arpenter.
Il est temps de se poser les bonnes questions, celles qui vont permettre dans le monde d’aujourd’hui de continuer à œuvrer pour la littérature. Il est temps d’abandonner les vieux schémas, pour trouver comment continuer à propulser le lire. Nous ne nous donnons aucune limite, si ce n’est celle de notre imagination, pour que la lecture continue d’enchanter les lecteurs, pour que leurs tête-à-tête avec les textes continuent de se dérouler dans la félicité.
Le propos ne souffre pas de débats. Mais ceci :
Sur n’importe quel support, un texte, ce sont des mots, des phrases, une histoire, des sentiments, des sensations, qui transcendent ou pas le lecteur qui s’y plonge. Pourquoi se focaliser sur un support, et par là même vouloir « sauver » un objet, et à travers lui une chaîne, la chaîne du livre, quand il faut juste encourager à lire
Oui et non. Il est évident ici que la lecture n’est pas le livre et que, au jeu des miroirs, l’epub est un livre. Pour autant, la neutralité du support est une illusion. Il est de mauvaises mises en forme, que ce soit sur page de cellulose ou sur écran.
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De quelles lectures parle-t-on : linéaire, annotante, butinante (hypertextuelle) ? C’est selon, et selon l’état des offres matérielles et éditoriales, l’on combinera la liseuse (à encre électronique), la tablette (l’écran plat typique), le codex papier.
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Est-il possible de dévorer un texte d’autant mieux que l’on est au milieu de centaines, comme en bibliothèque personnelle ou publique ? Cela le devient, au vu des offres de bonne tenue éditoriale et des capacités de mémoire des petits ustensiles électroniques, des milliers de fichiers.
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Est-il possible d’ajuster la mise en forme pour que les canons minimaux de la typographie, c’est-à-lire du bien-lire, soient respectés ? Cela dépend des supports, des machines mais force est de constater que les possibilités demeurent embryonnaires, et requièrent une sensibilité qui n’est pas commune.
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Est-il possible d’avoir des mises en page originales, qui ne se répètent pas ? Ce point est corrélé au précédent.
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Est-il possible de choisir le mode de déroulement ? A la différence de ce souligne Hubert Guillaud au détour d’un récent billet, changer d’écran intégralement comme l’on tourne la page d’un codex, à la différence de la page déroulante d’une page-web-avec-les-dits-ascenseurs,n’est pas un archaïsme mimétique. A l’expérience, l’oeil et donc le cerveau-lecteur ne gagnent-ils pas en confort, en immersion, en concentration lorsqu’ils ne cherchent pas où se poursuit le texte ? A bien comprendre Jost Hochuli dans Le détail en typographie. La lettre, l’interlettrage, le mot, l’espacement, la ligne, l’interlignage, la colonne (Éditions B42, pour la version française et présenté ici par EditOL), le moindre effort est gage de lecture plus rapide ; mais plus aisée, concentrée ?
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Est-il préférable d’opter pour un écran à encre électronique (de type liseuse) ou tout autre (écrans plats, tablettes) ? Il est un débat sur le caractère fatigant du second mode rétro-éclairé ; il est vrai qu’un bon matériel se règle mais l’expérience semble néanmoins souligner combien le premier finit par s’oublier à l’instar d’une feuille de papier correctement imprimée. Il est vrai encore que bon nombre de sites, notamment de presse, sont bruyants, saturés de couleurs abondant dans la cacophonie de la publicité tonitruante –même pour les yeux–, en sorte que le magnifique paragraphe du remarquable ouvrage de Robert Bringhurst (The Elements of Typographic Style, chez Hartley & Marks Publishers) est une délicieuse description critique, schématique en ce que la lecture d’écran peut être intense et studieuse, tout comme celle du papier futile et chaotique, fausse donc car il y a nombre de contre-exemples mais juste si l’on considère qu’il faut un agencement de bonnes conditions souvent inconscientes pour une lecture-étude ou une lecture-immersion sur écran (par exemple : un fichier epub bien composé, un logiciel sans fioritures, une liseuse bien paramétrable) :
The screen mimics the sky, not the earth. It bombards the eye with light instead of waiting to repay the gift of vision. It is not simultaneously restful and lively, like a field full of flowers, or the face of a thinking human being, or a well-made typographic page. As we read the screen the way we read the sky: in quick sweeps, guessing at the weather from the changing shape of coulds, or like astronomers, in magnified small bits, examining details. We look to it for clues and revelations more than wisdom. This makes it an attrative place for the open storage of pulverized information -names, dates, library call numbers, for instance but not so good a place for thoughful text.
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Est-il possible de partager, de prêter un texte ? Constat doit être fait que les formats dits propriétaires, du type de celui choisi par Amazon (auparavant mobi ou azw, aujourd’hui kf8 ?) sont un verrouillage : l’epub-sans-DRM est ce qui rend, au plaisir du jeu de mots, la lecture dite numérique analogue au livre-codex que l’on emprunte en bibliothèques, que l’on se refile.
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Quels sont les dites méta-données, l’appareil critique, les présentations liminaires ? L’on peut continuer à lire en Pléiade alors même que des éditions de poche sont disponibles, l’on peut se mettre à jongler entre le papier et l’écran sans exclusive mais en se rappelant que le texte seul, nu, directement lisible n’existe que par une médiation, notamment une mise en forme.
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Bref, qu’est-ce que lire ? Et puis, tenez, ce tout récent billet de François Bon : la grande mutation de la lecture numérique.
Comme pour les meilleurs sujets, telle la musique, ce billet n’est pas achevé : réflexions-lectures à venir, commentaires possibles même invisibles doivent nourrir les notes de l’atelier d’EditOL. Bref et sans que cela soit un mot conclusif, un livre est un texte qui prend une forme lisible. Un bon livre numérique est un bon texte, avec les informations idoines : les méta-données sont l’ours de l’édition cellulosique ; il ne doit pas être frappé d’obsolescence prématurée, d’où l’importance du bon format informatique…
Typographie n’est pas un mot caduque dans l’après-livre comme dirait François Bon, cela est répété à l’envie ici. Terminons par cette seconde citation de Robert Bringhurst,
Typography is the craft of endowing human language with a durable visual form.
& :
– Editio ? (EditOL + TypOL).
– Le Tiers-Livre de François Bon pour l’une des plus riches réflexions sur la pratique contemporaine de l’édition, relevant aussi de la lecture et de l’écriture.
– Jost Hochuli – Review of Detail in typography (DesignersReviewofBooks.com) – Review of Detail in typography (Jon Tangerine) – Excerpts from Detail in typography (Oliver Tomas) – Notes on Detail in typography (EditOL) | abc litera | Via Wikipedia.DE.
– Robert Bringhurst – Review of The Elements of Typographic style (Typographica.org) | Via Wikipedia.EN.