Nicolas Bouvier se posait-il la question ? Cees Nooteboom s’arrêterait-il d’écrire s’il avait une réponse définitive ? Une Ulysse-Architecte, elle, regarde les oeuvres des Hommes. Et soi ? Le voyage se nourrit de recherche et partant d’incertitudes avec lesquelles on joue. Il faut parfois se demander comment manger, où dormir, par quel itinéraire cheminer (à pied ou à pneu), quel programme du lendemain opter si ce n’est celui de la prochaine demi-journée. Comment se changer les idées, comment les orienter quand tout sollicite l’esprit d’un air frais neuf ? Le cours du temps a la liberté dans les contraintes matérielles et les surgissements des éléments, lorsque l’on campe. Cette liberté est énorme pour peu que l’on s’adapte aux flots.
En ces temps là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16 000 lieux du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et de sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était alors si ardente et si folle
Que mon coeur, tout à tour, brûlait comme le temps d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.
(…)
Ainsi s’amorce, comme la réponse de Blaise Cendrars, sa Prose du Transibérien et de la petite Jeanne de France (dédiée aux musiciens), qu’il semble avoir écrit dans un trait fulgurant comme ses autres poèmes lyriques, aussi rapidement que Nicolas Bouvier prenait des années pour achever ses grands textes.
Pourquoi voyage-t-on, donc ? Pour répondre à des questions telles que : qu’y a-t-il au-delà du bout du monde ? et savoir si l’on peut tendre vers l’une des portes du paradis, connaitre le bout des nuages selon la fortune de la météo et celle aussi de sa forme. Il est à gager que cela pourrait être magnifique, mais de quelles beautés être les récepteurs ?
Comment voyage-t-on ? Avec la curiosité mais aussi un certain sens du luxe pas si paradoxal, qui pousse à trouver les solutions plus reposantes, plus durables comme une tente réaménagée, comme une nouvelle popote-brûleur de gaz, comme des sandales-sabots en couleur pop-art, comme une petite cuillère en bois découverte dans une boutique d’artisanat Sami, comme le matériel de randonnée alpine adapté aux conditions courantes, comme d’autres objets et outils qui rendent le voyage –non pas l’expédition ou l’aventure, tout est question de proportion– faisable.
Jusqu’où voyage-t-on ? La route, de pneus et de semelles, mène au point de départ ; le bout de la boucle est le but des pérégrinations plutôt nomades. Mais le voyage commence dès avant le départ et se poursuit bien au-delà de la boucle refermée, par des songes, des listes, des bouts d’écriture et des lectures, sans oublier les récits faits à l’entourage mais aussi les références partagées.
Avec qui voyage-t-on ? Avec ses propres souvenirs d’une multitude d’expériences -avec ses propres soi, donc-.
Jusqu’à quand voyager ? Tant que l’âme et le corps se soutiennent, et puis aussi le plus longtemps possible par la mémoire et son ombre la curiosité qui lui évite de se souvenir en vase vicié car trop clos.
Où voyager ? A la poursuite de la boussole, pour ralentir ? Prendre le bateau : l’embarquement prend le temps, le départ et l’éloignement du port prennent ce temps de goûter le lancement du voyage et la mer avance lentement sur l’horizon immobile. Ralentir accélère l’imagination en étendant les heures. L’on avance vite sans en prendre conscience : vingt-six heures pour relier l’Allemagne et la Finlande. Ralentir est également le propre de la marche ; c’est le rythme du bâtisseur dirait l’architecte Renzo Piano. Ralentir est aussi ce qu’offre la voiture lorsqu’il s’agit de traverser l’Europe : le voyage se compte en jours, donc en plusieurs nuits, et non en heures qui bouleversent le rythme biologique comme le fait l’avion.
& :
– EcritOL | Voyage ? – Nicolas Bouvier ? – Cees Noteboom ? (WebOL).
– « Heureux qui comme Ulysse »… a le goût des voyages.
WordPress:
J’aime chargement…